Une grotte lunaire sous la Mer de la Tranquillité

Vue d'artiste de la sonde LRO et d'un faisceau radar s'introduisant à l'intérieur d'une crevasse de Mare Tranquillitatis © NASA / JPL/Caltech / B. Kumanchik / C. Lopez / B. Anders
Illustration d'astronautes en face d'une entrée souterraine sur la Lune © NASA

Bien que l’idée puisse sembler contre-intuitive au premier abord, voire farfelue et un tant soi peu ironique en raison du rapport criant avec les hommes préhistoriques, il s’agit d’une piste tout à fait fondée. Cette piste se montre même tellement pertinente qu’elle est sérieusement envisagée pour guider de prochains efforts d’implantation humaine sur la Lune et Mars. En effet, ce serait une faute grave que de négliger sur la Lune son absence d’atmosphère et de magnétosphère ; là où sur Terre, nous bénéficions d’une protection indéniable contre les dangers provenant de l’espace, la Lune n’en offre aucune, et rien qu’une présence humaine à court terme sur place pose une série de contraintes de taille. 

On distingue ainsi trois facteurs dont palier les effets nocifs sur le corps humain relève d’un enjeu vital, à savoir : un différentiel de température drastique en fonction de l’ensoleillement (127°C le jour et -173°C la nuit), une exposition constante aux rayons cosmiques ou au vent solaire (jusqu’à 100 fois supérieure à celle que l’on subit sur Terre), et enfin un bombardement ponctuel mais imprévisible par des météorites (comme en témoigne la surface éprouvée par des milliards d’années d’impacts). En outre, s’abriter dans une grotte lunaire offrirait une solution privilégiée face à de telles menaces, et cela promettrait un socle vers des infrastructures et des opportunités d’exploration durables de la Lune, au lieu de simples habitations à la merci de l’usure thermique, de projectiles hypervéloces ou autres radiations mortelles.

Concept art d'un astronaute escaladant une paroi lunaire, pour la saison 2 de For All Mankind © V. Martinez

50 ans durant, les scientifiques se sont concertés sur la réalité de conduits sublunaires, car elle n’était jusqu’à présent que théorique. Bien qu’on ait détecté en plus d’une décennie des centaines de crevasses assimilables à des plafonds écroulés de tunnels, des lucarnes appelées pit craters en anglais, le lien entre celles-ci et d’hypothétiques cavités sous-jacentes n’était pas d’office fixé. Sur le plan géologique, l’existence de tunnels sous la surface lunaire était plausible et résultait d’une phase ancienne dans l’histoire de notre satellite, à l’époque où elle présentait encore une activité volcanique à ses débuts. Phénomène similaire à notre planète, la formation d’un conduit est une conséquence d’un flot de lave s’étant refroidi à ses couches supérieures avant de durcir, tandis que la lave aurait continué à s’écouler au stade inférieur, puis aurait été drainé en laissant un tube vide et rocheux.

En 2010, le LRO a capturé la faille de Mare Tranquillitatis, éclairé à un angle de 26,5° d'incidence ; son plancher à 100 mètres de profondeur est nettement visible © NASA Goddard / Université d'Arizona
"Cette étude démontre à la fois la manière dont les données radar lunaires peuvent être utilisées par de nouveaux procédés pour répondre à des questions fondamentales pour la science et l'exploration, et à quel point il est crucial de continuer à collecter des données récupérées sur la Lune. Cela inclut la présente mission LRO et, espérons-le, de futures missions d'orbiteurs"
Wes Patterson, responsable de l'instrument Mini-RF
via un communiqué de l'université de Trente

Lors de cette analyse, des réflexions supplémentaires et donc inconnues du signal dans les méandres de la crevasse ont été détectées, ce que seule la présence d’au moins un tunnel en contrebas était en mesure d’expliquer. Au niveau du puits, les dimensions sont énormes : une centaine de mètres de diamètre, et autant pour ce qui est de sa profondeur. De là, on estime que la caverne serait large de 40 mètres à son embouchure et longue de 80 mètres environ, ce qui est somme toute raisonnable sachant qu’à cause de la plus faible pesanteur de la Lune comparée à celle de la Terre, il est probable que les conduits sublunaires atteignent des proportions démesurées, près de dix ou cent fois supérieures à ce que l’on rencontre sous nos pieds. En outre, l’identification de la cave sous Mare Tranquillitatis s’est accompagnée d’un travail extensif de projections géologiques et d’une modélisation avec création d’une véritable carte 3D des lieux. Qui plus est, il n’est évoqué qu’un unique passage, mais tant d’autres sont susceptibles d’exister sur la Lune et de communiquer en réseaux, qu’il serait probablement bon d’arpenter à l’avenir.

Il y a plusieurs milliers d’années de cela et alors qu’ils n’étaient pas encore sédentaires, nos lointains ancêtres étaient poussés à vivre dans des grottes sinueuses, à l’abri des éléments, et où il leur était possible de se réchauffer au coin du feu ou d’assurer plus généralement la survie de leur groupe. Il est clair de nos jours que nous sommes désormais bien loin de ce paradigme, et que dans le cas de l’exploration spatiale, nous disposons de fusées et de véhicules ultrasophistiqués grâce auxquels nous comptons un jour nous établir ailleurs que sur Terre. Par extension, on imaginerait aisément des bases dessinées par des modules pressurisés à la surface de la Lune, sur fond de régolithe grisâtre. Mais s’il en était autrement à terme ? Et si au lieu de s’accommoder de la surface, de futurs astronautes se tournaient plus bas et s’installaient en sous-sol ?

En août 1971, le module de commande d'Apollo 15 prenait en orbite cette photo oblique de la face cachée de la Lune ; y apparait au premier plan le large cratère Thomson © NASA Johnson via Flickr

Si vous êtes familiers avec la série For All Mankind, ces difficultés logistiques se rapprochent des moyens déployés par les américains de la base Jamestown afin d’exploiter la glace d’eau dans les ténèbres du cratère Shackleton. Autant dire que s’aventurer le long de sa paroi jusqu’à son fond n’est pas une promenade de santé tant l’équipement de soutien aux astronautes en rappel ou en translation mécanique est conséquent. Il en serait de même pour rejoindre une grotte depuis une crevasse, dont il faudrait garantir la descente ou la montée, supplantées par un appareillage complexe.

Visite d'un tube de lave à Lanzarote, en Espagne, dans le cadre du programme d'entrainement spéléologique d'astronautes européens CAVES © ESA / R. Shone

Le 15 juillet 2024 sonnait un coup d’éclat dans l’étude de ces mystérieux conduits lunaires, lorsque la revue Nature publia une étude notable. Intitulé « Preuve Radar d’un Conduit Caverneux Accessible en dessous de la Fosse de la Mer de la Tranquillité », le papier est rédigé par une équipe internationale dirigée par l’université italienne de Trente. Il est tributaire de précieuses données acquises par la sonde LRO (Lunar Reconnaissance Orbiter) de la NASA, fidèlement en orbite autour de la Lune depuis 2009 et utile à l’imagerie haute résolution de sa surface. En particulier, les chercheurs se sont appuyés sur des données datant de 2010, quand l’orbiteur avait survolé la région de la Mer de la Tranquillité (ou plus formellement : Mare Tranquillitatis) et une fosse déjà connue. Grâce à des informations brutes qu’a acquéries l’instrument radar Mini-RF et analysées par de nouvelles méthodes de traitement de signal, ils sont de fait parvenus à confirmer pour la première fois que la lucarne en question menait à une cavité. Fait amusant : la crevasse se situe à proximité, quelques 300 kms, du site d’alunissage d’Apollo 11. 

Intervention de Riccardo Pozzobon, planétologue ayant expertisé le modèle du conduit © Université de Padoue

Modélisation et analyse géologiques de la topographie de la faille et du conduit s'en dégageant, fournies par les universités de Padoue et La Venta © ROC NAC / Wagner, R. / Robinson / M. S

Pour en savoir plus et approfondir les détails relatifs au conduit de la Mer de la Tranquillité ou aux tunnels sublunaires, référez-vous au communiqué de l’université de Trente, à l’annonce parallèle de la découverte de la part de la NASA, ou aux articles de Stefanie Waldek pour space.com, Mark Thomson pour Universe Today, Laurent Sacco pour Futura, Philip Plait pour Bad Astronomy Newsletter, Will Sullivan pour le Smithsonian, Paul Anderson pour EarthSky, Robin Smith pour The Conversation, Robin Andrews pour National Geographic, ou Robert Reeves pour Astronomy !

Quand à moi, je vous souhaite un bon retour sur Terre et d’ici votre prochain vol, longue vie et prospérité ! 🖖

Merci de même à Paul Faugeras et Pierre Henriquet pour leur relecture !

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