Alexandre Viktorenko, dévot de l'astronautique

Portrait d'Alexandre Viktorenko © Roscosmos

« Alexandre Stepanovitch Viktorenko, Héros de l’Union Soviétique, pilote-cosmonaute d’URSS, a rendu l’âme », rapportait solennellement ce 10 août 2023 le TsPK ou Centre d’entraînement des cosmonautes Gagarine, localisé dans la banlieue moscovite. Des propos semblables de la part d’un porte-parole de l’organisme ont été relayés par le média RIA Novosti, disant : « Nous avons le regret d’annoncer que le cosmonaute soviétique et russe Alexandre Viktorenko est mort à l’âge de 76 ans ». Véritable vétéran de l’aventure de la station Mir, il aura passé 489 jours en orbite au terme de ses quatre missions et « dédié sa vie entière à la cosmonautique », et par le fait même « [apporté] une contribution inestimable à l’histoire de l’exploration spatiale ». 

Aujourd’hui, dans le cadre de ce premier portrait, in memoriam, publié sur le blog, intéressons-nous à Alexandre Viktorenko, sa carrière féconde au profit du spatial soviétique puis russe ainsi qu’à sa personne !

Alexandre Stepanovitch Viktorenko nait le 29 mars 1947 à Olginka, un petit village au nord de l’actuel Kazakhstan faisant alors partie de la République Socialiste Soviétique Kazakhe. Issu d’une famille prolétaire, il quitte en 1965 l’école secondaire Sukhorabov et embrasse la voie militaire en entrant à l’Ecole d’Aviation Militaire Supérieure pour Pilotes d’Orenbourg, une ville russe sur les bords du fleuve Oural, dont il est diplômé avec mention en 1969 en qualité de pilote de chasse et avec un grade de lieutenant. Ayant rejoint les Forces Aériennes, il sert au sein de la flotte de la mer Baltique et occupe plusieurs postes dans divers régiments en tant que pilote et commandant jusqu’au 23 mai 1978, jour où il fût enrôlé dans le corps des cosmonautes du centre d’entraînement Gagarine et devint membre du groupe TsPK-7. Il était à ce moment-là et depuis 1973 commandant de bâtiment du 15e régiment d’aviation séparé de reconnaissance à longue portée, une fonction aéronavale qu’il cédera au profit de celle de cosmonaute étudiant.

Le Tupolev Tu-22R, dont Viktorenko maitrisait le pilotage, était un bombardier supersonique biéracteur, produit à partir des années 1960 et servant à la reconnaissance © Via la page dédiée sur airwar.ru
Viktorenko manipulant l'appareillage arrière d'une combinaison extravéhiculaire Orlan © TsPK

Secondé du soviétique Alexandre Alexandrov et du syrien Mohammed Faris, Alexandre Viktorenko décolle de Baïkonour le 22 juillet 1987 au sommet d’un lanceur Soyouz U2 et à bord du vaisseau Soyouz TM-3. Lors de cette première mission d’une semaine, il séjournera sur Mir en y emmenant le premier et unique astronaute syrien à ce jour, et le ramènera avec lui pour son retour sur Terre le 30 juillet, accompagné d’Alexandre Laveïkine. Ce même jour, il se voit décerner par le Præsidium du Soviet suprême le titre de Héros de l’Union Soviétique, la plus haute distinction distribuée en URSS à l’époque, et s’apprête à recevoir une formation pour la mission soviético-française Soyouz TM-7.

Le 5 septembre 1989, Alexandre s’envole à nouveau vers Mir, cette fois sur Soyouz TM-8 avec Alexandre Serebrov. Il demeurera en orbite 166 jours lors de l’expédition de longue durée EO-5, sera témoin de l’arrivée et de l’intégration à la station du module de vie et d’expérimentation Kvant-2 et exécutera cinq sorties extravéhiculaires de 19 heures de durées cumulées, au cours desquelles il testera la combinaison Orlan-DMA et manœuvrera un prototype de véhicule autonome de transfert d’astronautes nommé SPK (en russe « Средство Перемещения Kосмонавта »), ressemblant à un fauteuil, comparable au MMU (Manned Maneuvering Unit) américain précédemment utilisé et surnommé la « moto de l’espace ». Viktorenko atterrit sur Terre le 19 février 1990.

Viktorenko pris en photo à l'occasion de l'une de ses sorties de 1990 à l'extérieur de Mir © Roscosmos

Alexandre Viktorenko, outre ses différentes formations, aura secondé les missions TM-13 et TM-19, et au fil de sa carrière de cosmonaute passé 489 jours, une heure et 33 minutes dans l’espace, comprenant 19 heures et 39 minutes en sortie extravéhiculaire, été instructeur civil au centre Gagarine, obtenu nombre de récompenses soviético-russes ou étrangères et finalement pris une part active au développement des activités spatiales en orbite, pas uniquement soviétiques ou russes, mais pour le bénéfice de l’humanité entière. Son départ du corps des astronautes russes a été officialisé le 21 juillet 1997.

Alexandre était marié et avait deux enfants ; il aimait l’art, l’automobile et l’accordéon ; il habitait à la Cité des Etoiles ou sa retraite s’est paisiblement conclue ce 10 août 2023. Ses funérailles militaires ayant eu lieu le 12 août, Roscosmos a souligné dans son communiqué que « Le brillant souvenir d’Alexandre Stepanovich Viktorenko restera à jamais dans nos cœurs ».

© Roscosmos
Photo de Viktorenko datant de 1978 © TsPK

Dès lors et pendant quatre ans, Alexandre suit au centre Gagarine ou TsPK (pour « Центр Подготовки Космонавтов » ou en français « Centre d’entraînement des Cosmonautes) un entraînement basique, dénommé OKP (pour « Oбщекосмической Подготовки », ou en français « formation générale à l’espace »), qu’il complétera le 24 février 1982 en acquérant la qualification de cosmonaute d’essai. Il ne s’avérera toutefois pas éligible et deux ans supplémentaires lui seront nécessaires afin d’être assigné à une mission, en raison d’un incident qu’il a subi le 16 octobre 1979 dans une chambre d’altitude : suite à une erreur externe de la part de son opérateur, Viktorenko fut en effet électrifié et chuta, ce qui lui provoqua une commotion cérébrale ainsi qu’une perte de connaissance durant 17 heures. 

Parallèlement à cette préparation, il se rend presque un an, d’octobre 1978 à juillet 1979, à Akhtoubins et au 267è Centre d’essai aéronautique et de formation de pilotes d’essais, en vue d’une participation au programme de la navette Bourane. Suite à sa formation générique, il s’entraîne jusqu’à l’année suivante dans le cadre du programme Intercosmos qui favorise la collaboration internationale dans le domaine des vols habités, majoritairement adressée aux pays socialistes. En attendant de pouvoir voler, le cosmonaute performe des entraînements analogues et succincts, ultérieurement à son habilitation en février 1984 à devenir commandant d’équipage de réserve pour les missions de visite de Saliout 7, la dernière d’une longue série de stations spatiales dont l’URSS disposait en orbite basse. Il sera ainsi membre des équipages secondaires des missions Soyouz T-14 et T-15, avant de débuter en décembre 1986 l’entraînement consacré au commandement de EP-1, la première mission de visite de la station Mir nouvellement fonctionnelle.

Le premier équipage de Viktorenko s'entraînant dans l'intérieur exigu de Soyouz TM-3 (sont reconnaissables de gauche à droite Alexandrov, Viktorenko et Faris) © TsPK

La troisième mission d’Alexandre, Soyouz TM-14, intervient le 17 mars 1992 tandis que l’Union Soviétique s’est effondrée plus tôt en décembre et que la Fédération de Russie naissante rendait pour la première fois visite à la station Mir. Lui, Alexandre Kaleri et l’allemand Klaus-Dietrich Flade rejoignent la station à l’occasion de l’expédition EO-11 et de la mission MIR 92 et restèrent dans l’espace 145 jours, puis regagnèrent la terre ferme le 10 août, le français Michel Tognini ayant pris la place de Flade au trajet retour. Viktorenko réalisera sa sixième et dernière excursion dans le vide spatial, de manière à installer deux gyroscopes.

Une quatrième mais ultime fois, le cosmonaute occupa Mir où il est arrivé par le vaisseau Soyouz TM-20 et vit en orbite du 3 octobre 1994 au 22 mars 1995, soit 169 jours additionnels. En plus d’avoir permis à Elena Kondakova d’être la première femme à accomplir un vol spatial de longue durée et à Ulf Merbold, le premier non-américain à embarquer sur la navette, de revoler, le lancement de Soyouz TM-20 fut le premier où, au préalable, un cosmonaute, Viktorenko, a été béni par un prêtre orthodoxe, instituant une tradition toujours en vigueur. Vers la fin de sa mission, Alexandre assistera à la première venue de la navette américaine aux environs de Mir, à savoir Discovery transportant l’équipage de STS-63. Le cosmonaute répondra par transmission radio aux salutations de ses collègues : « Nous sommes un. Nous sommes humains ». Il rentrera sur Terre le 22 mars 1995 avec Kondakova et Valeri Poliakov, depuis lors le détenteur du record du plus long séjour humain en apesanteur.

Mir telle qu'observée depuis Discovery le 6 février 1995 © NASA
L'équipage de Soyouz TM-14 réuni (de gauche à droite : Alexandre Kaleri, Alexandre Viktorenko et Klaus-Dietrich Flade © TsPK

Pour en savoir plus et approfondir les détails relatifs à la vie d’Alexandre Viktorenko, référez-vous au communiqué officiel de Roscosmos (uniquement accessible via un VPN connecté à la Russie), celui du TsPK, l’article du même centre publié pour son dernier anniversaire, un autre du Mémorial Gagarine, des sites buran.ru et astronaut.ru, ceux de grands médias comme TASS, Sputnik ou RIA Novosti (ces sources-ci étant russes, traduisez-les si besoin), ou encore la page écrite par Robert Pearlman pour CollectSpace.

Alexandre Viktorenko, photographié en 1994 © A. Poushkarev / TASS.

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