Échec de VV22 : un matériau de tuyère défectueux
Ce vendredi 3 mars, la commission d’enquête indépendante chargée d’identifier l’origine de l’échec de la récente mission VV22, survenu en décembre dernier, a remis son verdict et exposé les résultats de son investigation. La conférence de presse, tenue en présence d’officiels au siège de l’ESA à Paris, a rendu publique la cause de l’anomalie technique dont a souffert le lanceur Vega-C en vol : une dégradation progressive de la tuyère du second étage Zefiro-40, se traduisant par une sur-érosion d’un de ses composants ayant résulté en une régression complète de ses performances.
Vega-C avait été introduit en juillet 2022 en tant que nouveau lanceur intermédiaire européen, succédant à Vega (le C signifiant « Consolidation »). La deuxième mission de cette itération, VV22, et sa première à titre commercial, devait acheminer en orbite SSO (Sun-Synchronised Orbit, ou orbite héliosynchrone) les satellites d’observation terrestre Pléaides Neo 5 & 6 pour le compte d’Airbus Defence and Space, soit une masse d’environ deux tonnes.
Cependant, la mission fut prématurément avortée en raison d’une défaillance du second étage. Le lanceur de 35 mètres et de 210 tonnes, ayant décollé à 1:47 UTC le 21 décembre (22:47 heure locale le 20), présentait pourtant à ses premiers instants un profil de vol nominal ; son ascension se déroula parfaitement, de même la séparation du premier étage P120C et l’allumage du second, Zefiro-40, vers T+144s. Or, telle qu’elle le sera communiquée ultérieurement, une anomalie fut rapidement identifiée au niveau de ce dernier, environ deux minutes et demi après le lancement, s’étant manifestée sous la forme d’une dépressurisation alors inexpliquée. Tandis que sa trajectoire déviait de plus en plus de celle prévue et que les étapes suivantes de la mission étaient grièvement perturbées, le CNES donna l’ordre de destruction de la fusée, entraînant la perte des deux charges utiles. Il s’agissait du 3è incident en 22 vols de la série Vega depuis 2012, les deux précédents ayant été déplorés au cours des 8 derniers vols de Vega et Vega-C.
Immédiatement, l’ESA (le maître d’oeuvre du projet Vega-C) ainsi qu’Arianespace (l’opérateur) décidèrent la nomination d’une commission d’experts qui, travaillant en collaboration avec Avio (le principal partenaire industriel), détermineraient l’origine de ce revers afin de garantir la sécurité et la fiabilité de la reprise des vols du lanceur.
Extrait de la webcast du lancement de VV22 © Arianespace via Youtube
S’appuyant sur les données du vol mises à sa disposition, leur analyse par le groupe mena à une confirmation de la malencontreuse suite d’évènements s’étant produits lors de VV22, à savoir qu’une détérioration graduelle de la tuyère du moteur solide Zefiro-40, faisant office de second étage, avait provoqué une chute de la pression au sein du propulseur à partir de T+151s au point qu’une minute après l’allumage de l’étage, dès T+207s, l’accélération toujours déclinante était devenue quasi-nulle, ce qui plaça le lanceur sur une trajectoire balistique selon les dires de Pierre-Yves Tissier, l’un des co-dirigeants de la commission.
Plus précisément, le responsable de cette baisse de pression s’est avéré être le matériau carbone-carbone utilisé dans la confection d’un élément régulant le flux de matière évacué par le moteur vers la tuyère, l’insert de gorge ou throat insert. Conçu pour supporter de hautes températures, ce matériau endura néanmoins une sur-érosion thermomécanique, vraisemblablement due à un défaut dans son homogénéité : une porosité trop élevée n’ayant pas été repérée auparavant car ses critères d’évaluation n’avaient pas permis de le déceler, ni dans le cadre du vol inaugural de Vega-C VV21 en juillet 2022 ou de ses deux tirs statique de qualification préliminaire puisque n’étant pas adaptés.
Avio, le fabriquant dominant de Vega-C, avait obtenu cet insert de gorge de la part de l’entreprise ukrainienne Youzhnoye, à qui il avait fait appel de 2015 à 2017 pendant la phase de développement du lanceur parce qu’elle offrirait un approvisionnement convenable dans le temps imparti par le calendrier d’Avio, comparativement à d’autres compagnies européennes. Une faille quelconque n’ayant pas été remarquée dans le design même de Zefiro-40, la commission élabora finalement ses conclusions, unanimement acceptées, qui suggèrent l’arrêt de l’emploi du matériau C-C ukrainien au profit d’une solution déjà appliquée par Arianegroup à ses étages Zefiro-23 et 9 n’étant aucunement concernés par l’anomalie. Cette dernière ne serait pas corrélée à l’actuel conflit avec la Russie, mais la pandémie apparaîtrait plus plausible pour l’expliquer.
Une campagne complète de tests sur Zefiro-40, équipé donc d’un matériau C-C alternatif, sera prochainement entreprise avant de réhabiliter Vega-C. Elle devrait voler à nouveau fin 2023 en transportant une charge utile d’importance : le satellite d’imagerie radar Sentinel-1C. Sachant qu’il reste encore à Arianespace deux lanceurs Vega en réserve, a été réassignée à l’un d’entre eux une mission qui décollerait à la fin de l’été 2023. Parallèlement seront implémentées au travail conjoint des différents partenaires les recommandations de la commission visant à un renforcement d’une utilisation robuste de Vega-C à long terme.
Ce déboire aura fortement impacté le secteur spatial européen, à une période charnière où sa souveraineté se retrouve menacée, alors l’introduction cette année d’Ariane 6 l’assurerait normalement.